"Je me plaisais surtout aux mathématiques a cause de la certitude et de l'évidence de leur raison"

René Descartes

Ce fut Rabbi Shmuel Yaniv qui reprit les recherches sur les codes en 1976, toujours de façon manuscrite. Il publia trois volumes à caractère religieux, de 1988 à 1990, uniquement en hébreu, ayant pour titre "tsefunot ba'torah" (choses cachées dans la Torah)

 

Abraham Oren, professeur d'informatique au kibboutz Sde Elyahou, se passionna également pour cette approche exégétique de la Torah.

Au cours de ses recherches, il fut intrigué par ce qui semblait être de prime abord une anomalie dans la première paracha du livre du Lévitique: Le principal personnage du livre, le grand prêtre Aaron, frère de Moise, n'est pas mentionné ouvertement dans le texte, comme le sont d'autres personnages importants de la Bible, dont le nom revient un nombre précis de fois (7 et multiples de 7). En fait, Aaron est cité de façon indirecte lorsque le texte mentionne ses descendants: "les fils d'Aaron", qui ont la charge du sacerdoce.

Cette anomalie suscita chez Oren une intuition: Le nom d'Aaron devait se trouver quelque part dans le texte de façon cachée.

Il entreprit alors une recherche par sauts de lettres équidistantes; il fut le premier à utiliser pour ces recherches un ordinateur Apple 2 alors disponible; il trouva effectivement 10 fois le nom "Aaron" אהרן composé de 4 lettres, par des sauts de lettres allant de 4 a 180, mais pas de façon aussi significative que les codes qui avaient été découverts jusqu'alors (codes de 50 par exemple).

Mais une question primordiale surgissait, et tous ceux qui font des recherches de cette nature en sont parfaitement conscients: Ces découvertes pouvaient très bien être le résultat de combinaisons fortuites, en l'absence d'autres éléments pour en indiquer l'intentionnalité. On pourrait trouver effectivement "Aaron" par sauts de lettres équidistants sur un mode purement aléatoire dans n'importe quel texte.

Ici, le seul élément révélateur était qu'il semblait apparaitre à une fréquence beaucoup plus élevée qu'on ne pourrait s'y attendre avec un mot quelconque de quatre lettres apparaissant de façon aléatoire. Mais Oren manquait alors d'outils mathématiques pour déterminer avec rigueur si le phénomène était réel.

Comment peut-on dire avec certitude si la découverte d'une structure apparemment cryptée est un code authentique, inséré de façon délibérée?

 

Yaniv et Oren firent alors la connaissance d'Elyahou Rips, un mathématicien renommé, professeur au Département de Mathématiques de l'Université Hébraïque.

Il exposèrent au Professeur Rips une partie de leurs découvertes; celui-ci fut intrigué par les multiples apparitions du nom d'Aaron dans la première parasha du Lévitique et entreprit de tester mathématiquement le phénomène; il informatisa le texte en question pour le soumettre ensuite a un programme de recherche de codes: Il trouva en fait 25 occurrences du nom "Aaron". 

Compte tenu du nombre total de lettres du texte (soit 716) et des 4 lettres du nom d'Aaron qui apparaissent respectivement dans le texte (soit א alef 55 fois, ה  91 fois, ר resh 55 fois et נ  noun 47 fois), le nombre attendu d'apparitions de ces 4 lettres dans cet ordre (Aaron) est 8,3.

La probabilité d'obtenir 25 apparitions est de l'ordre d' 1 chance sur 400 000.


Ensuite, en observant bien, on découvre également un autre phénomène où les mots codés apparaissent à étroite proximité les uns des autres, et traversant le mot-clé dans le texte; c'est ce que l'on appellera ultérieurement "phénomène d'amalgame":

L'expression "fils d'Aaron" revient 4 fois dans le texte, et chacune est traversée par plus d'un code:

- La première par 3 codes

- La deuxième par 2 codes

- La troisième par 7 codes

- La quatrième par 2 codes

En comparaison, tous les autres mots du texte sont traversés par un si grand nombre de codes (maximum de 3 , une seule fois)

C'est dans la troisième occurrence de l'expression "fils d'Aaronבני אהרן   que le phénomène d'amalgame est le plus remarquable:

- Le mot "fils" בני  est traversé par un code, et "Aaron" אהרן   par 6 codes.

- Et la première lettre d'Aaron א (aleph) est le point de départ de 4 codes: +76, -78, -64, +87

 

 

Contre-épreuves:

Assisté d'un autre mathématicien, le professeur Daniel Michelson, il entreprit alors plusieurs contre-épreuves:

La première consista à permuter les 4 lettres d'Aaron en autant de combinaisons possibles, ce qui donne 12 combinaisons, puis de refaire la recherche avec chacune de ces combinaisons. 

Une seule de ces 12 combinaisons correspond bien sur à "Aaron" (lettres dans l'ordre) et les 11 autres combinaisons sont donc aléatoires, non significatives (lettres dans le désordre)

 

Le résultat est hautement remarquable:

Les 11 permutations apparaissent entre 5 et 11 fois, donnant une moyenne d'apparitions de 8,3 et un écart-type conforme à un phénomène aléatoire.

"Aaron" fait exception à la règle, la fréquence de 25 apparitions est remarquablement éloignée de l'écart-type, il a bien été encodé intentionnellement.

Fréquence d'appartion des 12 combinaisons
Fréquence d'appartion des 12 combinaisons

Rips et Michaelson effectuèrent ensuite toute une série de contre-épreuves encore plus subtiles et complexes:

Ils prirent les 22 lettres de l'alphabet hébraïque et les permutèrent en autant de combinaisons possibles de 4 lettres, que ces combinaisons forment ou pas un mot réel, obtenant ainsi un nombre de 117128 combinaisons différentes.

A l'aide d'un programme informatique, ils établirent une liste de fréquence d'apparition aléatoire pour chaque combinaison et la comparèrent avec une liste de fréquences d'apparition réelle de chaque combinaison.

En effet, en fonction des lettres qui les composent, certains mots auront une probabilité d'apparition élevée alors que d'autres auront une probabilité d'apparition faible. En français par exemple, on aura plus de chance de trouver un mot avec la lettre "e" qu'avec la lettre "w".

La rigueur mathématique impose de comparer la fréquence d'apparitions attendues et la fréquence d'apparitions réelles.

La découverte de Rips était impressionnante: La combinaison "Aaron" surpassait de loin les 117128 autres combinaisons.

 

Voici le diagramme de l'expérimentation, avec en abscisse les probabilités d'apparition, et en ordonnée le nombre d'apparitions de l'expérimentation:

Rips réalisa ensuite une autre expérimentation identique avec les 117128 permutations, mais avec un autre texte en hébreu sélectionné arbitrairement: Les résultats étaient identiques a ceux obtenus avec le Lévitique, mais sans l'apparition anormale d'Aaron: Les permutations attendues fréquemment apparaissaient fréquemment, celles attendues rarement apparaissaient rarement; les résultats correspondaient simplement a ceux que l'on obtient par hasard.

Ensuite, aucune des 117128 permutations, qu'elles correspondent a des mots réels ou pas, n'égalaient nulle part la fréquence d'apparition d'Aaron dans le passage du Lévitique.

 

Contrairement au précédant, ce diagramme présente des fréquences normales d'apparitions aléatoires, le cercle vide correspond a l'emplacement ou se trouvait "Aaron dans l'expérimentation précédente:

Finalement, Rips entra la version samaritaine de ce même passage du Lévitique et refit la même expérimentation.

La Torah samaritaine, écrite par un mouvement religieux en marge du Judaïsme traditionnel, datant du 8ème av. J-C, ressemble à la version massorétique de la Torah faisant autorité dans le judaïsme, mais présente de nombreuses variantes, en particulier orthographiques et grammaticales.

Les résultats furent à nouveau stupéfiants: 22 des 25 "Aaron" de la Torah juive avaient disparu, 7 autres les avaient remplacé, pour un total de 10. Ce nombre est dans l'écart-type de la moyenne d'apparitions aléatoires.

Le "code" avait disparu dans la torah samaritaine!

 

Cette expérimentation sur les codes d'Aaron fut publiée en 1988 dans le Journal of the Royal Statistical Society, Series A, Vol 151, p165.